Tatouille,
Tu es mort hier et je ne sais pas. Je ne sais pas comment faire avec ton frère, je ne sais pas si j'ai bien fait de t'enterrer dans le jardin derrière la maison, je ne sais pas si j'aurai pu changer le cours des choses en agissant différemment, je ne sais pas comment faire comprendre aux gens la douleur de ta mort.
Ce n'est pas une absence.
Ton corps est dehors, dans le jardin battu par le vent et inondé par la pluie. Ton odeur est partout dans la pièce, et ton frère te cherche. Ton dodo préféré sèche dans la buanderie ; la machine à laver n'est pas parvenue à enlever tous tes poils du tissu, mais je ne m'en plains plus. Tes médicaments sont toujours sur les étagères, je ne veux pas jeter ce qui aurait pu te sauver. Tu étais même là cette nuit, je me rappelle de ta visite. Tu t'es glissé sous la couette, tu es venu me renifler et me lécher le visage comme avant. Tu avais même retrouvé l'usage de tes pattes, tu allais bien ! Tes bisous m'ont réveillée. Le sommeil s'est envolé, tu as disparu. J'ai voulu te rattraper en me raccrochant à mon rêve mais le poids de la tristesse m'a immobilisée dans la réalité, et tu n'es pas venu me retrouver après. S'il te plaît reviens me voir, juste encore un peu, je ne suis pas prête. Je ne pensais pas que ta tumeur t'emporterai si vite, je n'aurai pas du me laisser endormir par sa très lente progression. J'ai encore besoin de moments avec toi, j'ai peur de ne pas avoir assez de souvenirs pour te faire exister par le charme doux amer de la mémoire. Et si tu t'estompais, comme cette nuit?
Car la vérité c'est que sans être une absence, c'est malgré tout une présence ténue, en filigrane, incomplète et insatisfaisante.
Par instant je suis tentée de te trahir, de dire aux gens que j'ai perdu mon chien après des années et des années de vie ensemble. J'aimerai qu'ils compatissent à ma douleur tu comprends. Mais je n'en tirerai aucune satisfaction en fin de compte. Certains sont désolés pour moi bien-sûr, mais tu sais bien qu'ils ne comprennent pas vraiment. Souviens-toi de leur réaction en vous voyant toi et ton frère, de leur regard lorsque je parlais de notre vie, de vos ballades, de nos jeux... Je ne sais pas pourquoi l'opinion des gens compte mais elle compte. C'est que je ne veux pas qu'on salisse notre lien ; je veux que les gens sachent qui tu étais.
Tu étais rond, tu étais chaud, tu étais un bisouilleur, tu étais un fainéant, tu étais un gourmand. Tu me passais tout, tu étais toujours aussi affectueux même lorsque je t'embêtais. Tu étais courageux face à la maladie, tu étais peureux avec les inconnus, tu adorais te glisser sous mon pull. Tu étais mon rat. Tu étais beau.
Mais les mots sont communs et tu étais unique. Je ne parviendrai jamais à faire comprendre aux gens qui tu étais, car tu étais les fibres de mon corps qui vibrent en une harmonie qui t'était particulière, et je ne peux pas le décrire. Et si les mots pouvaient le dire, le comprendraient-ils ?
Je voulais te dire ici, sur le papier, devant ta tombe, dans mes pensées, que je t'aime, que tu me manques, que tu manques à ton frère, que je t'attendrai dans mes rêves.
Reviens.