Y'a plus qu'un rat dans ma cage. Hier soir, y'en avait encore deux, et là maintenant je n'ai toujours pas versé une larme. Ca fait un moment que je ne pleure plus quand un de mes amours disparait, et ça me fait peur. C'est pour ça que je veux arrêter : cette blasitude devant la mort, qui s'est installée progressivement, m'effrai au plus haut point.
Oui je les aime, je m'occupe d'eux, je les soigne jusqu'au bout, je me bats avec eux. Et la fin me laisse juste un goût de fin.
C'est la fin. C'est fini. Fini fini fini fini fini fini fini fini fini
A force de le répéter le mot perd son sens, c'est fini, alors pourquoi s'attarder dessus...
Il y a des pays où on fête la mort. On la fête réellement, ce n'est pas triste. Mais on est en France. Et la France pleure la mort.
J'ai toujours mes habitudes. Cacher le corps et ouvrir grands les fenêtres. Même en plein hiver, même en plein été. Pour chasser l'odeur de la mort, que ça s'en aille loin d'ici. Ma chambre pue la vie, je veux qu'elle pue la vie, qu'on se dise que ça sent le rire en entrant.
J'ai l'impression de vouloir en finir finir finir finir finir finir au plus vite.
J'ai l'impression que c'est égoïste.
Je l'oublie pas bordel, j'ai toute sa vie en tête, sa vie avec moi et sa vie d'avant, nos combats. Je l'ai aimé.
Mais quand on me demandait leurs noms... "Lui c'est Nesta, et y'a les deux autres... si si ils ont un nom mais..."
Ils avaient un nom mais je persistais à dire "Les miens, et les deux autres." Puis "Nesta et l'autre". C'est bizarre... je les aimais autant, tout autant. Mais Seyh, je ne l'ai pas choisi, je ne l'ai pas eu bébé.
J'ai traversé tout Paris et bataillé avec son coup de vent d'ex-proprio pour les avoir enfin, lui et son frère, dans les bras.
Ils auront tout vécu ces deux là...
Seyh a foutu le bordel dans ma cage, dans leur hiérarchie.
Il en a foutu plein la gueule à Nesta. Au moment de la maladie, de la vieillesse, de la faiblesse, les rôles se sont inversés.
Avant j'avais une dent contre Seyh, il m'énervait, je voulais qu'il laisse "les miens" tranquilles. Et puis récemment... Récemment 'était lui le faible à défendre. Lui qui me réveillait avec sa respiration sifflante et que je veillais jusqu'au matin par peur de surprendre son dernier souffle loin de moi. Lui qui m'a accompagné quelques fois en cours parce que je ne voulais pas le laisser seul, que mon devoir de grande soeur obligeait à surveiller.
Alors on a appris à se connaitre. Il me manque. Il a continué à manger, boire, et meme essayer de se laver.
Je racontais à tout le monde que, adulte avant d'être vieux, il avait un caractère de chiotte, mais quel caractère ! Le genre de rat qui ne se laisse pas faire, jamais, à aucun prix. Et j'étais la seule à voir que cette personnalité restait bien vivant derrière son poil rêche et sa perte de poids. A l'admirer encore.
J'ai plus qu'un rat dans ma cage. Le début de la fin...