J’ai pas compris.
Non, toute petite Peluche, j’ai vraiment rien compris.
Un jour tu es là, frétillante de vie et de conneries, débordante d’énergie et de léchouilles, une perle de vivacité et d’amour… Et le lendemain tu gis, inerte, petite chose fragile dont toute vie a brutalement été ôtée. Comme aspirée, supprimée. Un point final d'une violence inouïe à ton histoire, notre histoire, interminée pour l’éternité. Un coup de massue sur mon coeur exsangue. Supprimée, rayée de la carte, envolée. Partie à jamais.
Dis.. Pourquoi tu m'as fait ça?
Il y a un an, je tergiversais. Je tergiversais comme une folle parce que j’avais fondu, liquéfiée comme un glaçon en plein cagnard à la vue de ta bouille. Jamais je n’avais craqué sur une bouille de raton. Ma première rex, ma première bleue. Tous mes choix précédents étaient calculés, décidés des mois à l’avance, parfois des années, en fonction des parents, de mes affinités avec l’éleveur… Rien n’était laissé au hasard. Et puis je t’ai vue.
J’ai su que nos chemins étaient faits pour se croiser. Après des semaines d’hésitation, parce que tu allais me faire dépasser mon quota, parce que t’étais pas sur mon planning tout bien rangé, j’ai craqué. Tu hantais tant mes pensées, diurnes et nocturnes, que renoncer à toi me semblait impossible.
Et puis tu es arrivée… Avec ta première blague : tu avais mis ta petite sœur dans ta poche. Fédora-jolie. Elle non plus, n’avait pas vraiment été invitée. Mais elle aussi, a rapidement sur se faire une place dans la cage, et dans mon cœur. Vous étiez inséparables. Elle était ton ombre, ta confidente, ton réconfort. Tu étais son lien avec les hommes, sa force, sa confiance en moi. Vous évoluiez en parfaite symbiose, quelle que soit l’heure du jour ou de la nuit. Mes jumelles parfaites.
Tant et si bien que vous êtes restées toutes les deux. Pour toujours. J’adorais vous voir courir ensemble, Fanfreluche devant, Fédora derrière, la joue contre la cuisse de sa grande sœur. Toujours, toujours en contact. Une patte, une léchouille, un regard.. Je n’osais même pas faire des inhalations à l’une d’entre vous en la séparant de la deuxième. Vous n’étiez presque qu’un seul individu, deux facettes d’un seul visage.
Mais avec toi, ma toute douce, avec toi.. C’était quand même pas pareil. Fédora sait vivre sans les hommes. Toi, tu ne savais pas vivre sans moi.
Tu as rapidement compris que la sonnerie de mon réveil signifiait premier câlin du jour. Alors tu étais là, systématiquement, à faire les cent pas derrière la grille, en attendant la délivrance, le contact de ma joue tout contre toi.
A l’heure de la sortie, c’était toujours toi la première… Pour les conneries aussi. Princesse ouvreuse de tiroirs, voleuse de friandises, grignotteuse de fenêtre.. Tu savais me faire comprendre que les sorties, c’était avec moi ou pas du tout.
Le soir, tu ne mettais pas un pied dans les dodos sans avoir eu ton « bonne nuit, petit amour », rituel.
Tu as aimé apprendre des tours, accourir au son de ma voix, chercher tous les moyens pour faire ce que je cherchais à t’interdire, et t’endormir sur mes genoux, sereine et douce. J’ai aimé tout ça bien plus encore.
Dis.. Pourquoi tu m'as fait ça?
Pour être honnête, je ne sais pas comment on va continuer à avancer, Fédora et moi, sans tes pitreries et ta douceur, ces réconforts quotidiens. Et je pense qu’on t’en veut un peu, toutes les deux, d’être partie comme ça, sans prévenir, sans un signe d’adieu… Une dernière plaisanterie de bien mauvais goût, petit chat. J’ai compté, tu sais, ma belle. Ca faisait même pas un an qu’on s’était rencontrées, toi et moi. Un an, tu te rends compte ? Juste de quoi me rendre folle de toi.
Hier soir, en arrivant dans la cage, c’est la première chose que je me suis dite. « Tiens, Peluche n’est pas debout ? » Lemmings l’était, elle.. Et c’était pas toi de laisser un autre rat arpenter la cage sans surveiller. J’ai ouvert, j’ai caressé Lemmings.
Et puis j’ai machinalement dirigé mon regard vers les sputniks. Dans le premier, Kérosène, Fédora et Piccadilly. « Tiens, Dodo ne dort pas contre Fanfreluche ? »
Je tourne les yeux vers le second. Dès que mes yeux ont rencontré les tiens, mon cœur s’est emballé. Ce léger voile qui couvrait tes perles noires n’augurait rien de bon. J’ai pensé urgences véto, nuit à te veiller, te nourrir, te couver, te soigner… Te guérir.
J’ai posé mon index contre ton thorax… Et j’ai fondu en larmes. J’ai pleuré, pleuré, pleuré sans m’arrêter, sans comprendre, non plus. Plusieurs fois je suis sortie et entrée en espérant te voir lever la tête, cligner des yeux, bailler. J’ai appelé ta première maman pour lui laisser le message le plus ridicule que j’ai jamais laissé sur un répondeur.
J’ai paniqué, j’ai angoissé, je t’ai suppliée, implorée… Mais rien, rien n’y a fait. Rien. Rien du tout.
Dis.. Pourquoi tu m'as fait ça?
Ce soir, personne ne sautille dans la pièce. Personne n’a encore essayé de me voler mes bijoux. Comment te faire comprendre à quel point tu me manques, petit chat ? Tous les mots, toutes les larmes du monde n’y suffiront pas. Pardonne-moi de ne pas avoir su te garder près de moi.
Adieu, mon éternelle, mon imprévue. Ma toute, toute, toute petite Princesse Peluche.