Poil lissé, moustaches hérissées, queue raide, le rat bondit, tel un diable, d’une poubelle. Compagnon de misère mais cobaye bienfaiteur de l’humanité, le rat nous suit telle une ombre depuis la nuit des temps.
Qu’on le veuille ou non, les rats sont parmi nous.
Si l’Orient a fait du rat un dieu, l’Occident voue ce rongeur à Satan.
Face de rat ! Quel trou à rat ! Les rats abandonnent le navire ! C’est un rat de bibliothèque !Les épithètes péjoratives ne manquent pas, associant le nom du rat aux défauts humains. Ces expressions prouvent bien l’antipathie que l’homme voue à ce rongeur.
Mais, si nous apprenions à mieux le connaître à travers quelques histoires insolites ?
Qui est donc le rat ?Le rat a contribué à faire l’Histoire. Membre d’une grande famille, les Muridés, il existe 70 genres différents, des centaines d’espèces et de sous-espèces.
Certains éveillent notre sympathie, comme le hamster, le ragondin ou le cobaye.
Puis, il y a ceux qui peuplent nos cauchemars : le rat noir (Rattus rattus) et le surmulot ou rat d’égout (Rattus norvegicus).
Le rat noir fréquente la campagne tandis que le surmulot s’est installé dans nos villes.
Ce nom de rat n’a été attribué à ce rongeur qu’à partir du XIIe siècle. Il fait son apparition pour la première fois dans la langue allemande à travers l’onomatopée « ratt » qui suggère le bruit de l’animal qui grignote.
Auparavant, on utilisait le terme « mus », du grec « mys », qui désignait indifféremment rat et souris.
Les rats forment le groupe de mammifères le plus fécond de la planète.
En une seule année, une femelle peut mettre au monde plusieurs centaines de bébés.
Malentendu entre l’homme et le ratBête répugnante, envahisseur responsable de la famine et des épidémies, le rat n’évoque que souillure et morsure mortelle.
Contre cette haine, l’écrivain Michel Dansel, ratophile convaincu et auteur de l’ouvrage « Nos frères les rats », s’insurge.
Selon lui, il existe entre le rat et l’homme un malentendu regrettable :
« Il est temps d’exhumer le rat de l’oubli par la faute de certains hommes ignorants et ratophobes par principe. Le rat est vécu comme un sujet tabou. Il nous effraie parce qu’il vit dans les égouts et qu’il est sale. Parce qu’il véhicule les grandes maladies. Enfin, parce qu’il lui prend de temps en temps l’idée de s’attaquer à nous ».
Dans son livre, Michel Dansel cite cet émouvant épisode de deux rats surpris par un chasseur.
« Alors qu’il en avait tué un d’un coup de fusil, l’autre, au lieu de fuir, s’était immobilisé. Surpris, le chasseur s’approcha et remarqua que ce rat était aveugle.
Le cadavre qui gisait à côté tenait encore dans sa gueule une petite brindille pour guider son compagnon ».La grande invasion du ratLe rat a précédé l’espèce humaine sur Terre. Il est casanier et s’éloigne peu de son terrier et surtout de sa source alimentaire.
En fait, il n’envahit pas. Il se contente de suivre l’homme pour lui dérober vivres et déchets. Avant le XIIe siècle, il n’en existe que de petites colonies en Europe.
Ce sont les Croisés, de retour de Terre sainte, qui ramènent d’Orient à pleines cales les premiers rats clandestins, Rattus rattus.
Invasion aux conséquences dramatiques qui allait provoquer, deux siècles plus tard, la plus effroyable pandémie de peste de toute l’histoire.
Plus tard, les bateaux à vapeur permettront au rat de coloniser le monde entier.
Plus gros et plus agressif que le rat noir, le surmulot accepte mal de partager son territoire. C’est pourquoi, le surmulot s’est installé en maître incontesté dans les villes, chassant le rat noir vers les campagnes.
Le roi de ratLe roi de rat n’est pas un monarque mais le résultat d’une mauvaise plaisanterie de la nature. Ainsi appelle t-on le regroupement de plusieurs rats dont les queues sont soudées les unes aux autres par leur extrémité en un nœud inextricable : nœud gordien du roi de rat.
Le nombre de rats liés ainsi varie de 6 à 12. Il peut même atteindre 32 individus. Invalide, incapable de se déplacer, le « roi » vit dans l’entière dépendance du reste de la communauté.
On n’a pas encore trouvé d’explication à ce phénomène d’autant moins que les victimes n’appartiennent pas forcément à la même portée.
Toujours est-il qu' à la naissance, les ratons doivent entremêler leurs queues encore souples et visqueuses de manière irréversible. Les appendices durcissent rapidement et les nœuds se resserrent de plus en plus.
Devenues captives, les bêtes restent enchaînées pour la vie.
On a répertorié jusqu’à maintenant, environ 80 « rois de rat » en Europe.
Le rat mange nos cultures et l’homme mange le ratLe rat noir a conservé son goût pour les graines et son attirance pour le bois. Il est aussi boulimique que le surmulot.
En un an, rats noirs et surmulots consomment au moins 33 millions de tonnes de nourriture et détruisent 30% des récoltes sur pied. C’est un véritable fléau, notamment en Chine.
Les Chinois ont trouvé une solution à laquelle les Occidentaux n’adhéreront jamais : pour s’en débarrasser, il faut manger du rat.
En janvier 1985, le ministère de la Santé de Chine populaire annonçait, qu’après une campagne d’extermination de trois ans, 2 milliards de rats avaient été exécutés. Mais que 3 autres milliards dévoraient toujours 15 millions de céréales chaque année.
D’où la très sérieuse campagne lancée par le « Journal de l’économie » qui encouragea les Chinois à se nourrir de rôtis de rats et à se vêtir de leurs fourrures.
En Afrique, dans certaines régions, la population apprécie toujours la chair du rat adipeux (Steatomys pratensis). Cette espèce se caractérise par une accumulation de graisses sous-cutanées. De ce fait, il est considéré comme une excellente friandise.
Glouton, le rat n’aime pas se serrer la ceinture. La population ratière de Paris est estimée à environ 2 millions d’individus, uniquement dans les égouts de la capitale.
Les moins optimistes parlent d’un rat par habitant.
Ces rats d’égouts consomment près de 800 tonnes de nourriture par jour dont principalement des déchets.
Le rat, héros malgré luiPendant la Seconde Guerre mondiale, en novembre 1942, tout un commando de rats rongea les fils électriques de 104 chars allemands.
Ces chars attendaient un ravitaillement d’essence avant que le général von Heist lance une attaque sur Stalingrad.
Cet acte glorieux de sabotage anti-hitlérien n’a jamais valu de médailles aux valeureux héros.
Si on peut faire la grimace devant le rôti chinois de rat, il ne faut pas oublier que le surmulot a sauvé les Parisiens de la famine pendant le siège de 1870.
Noyés dans la sauce, les rats figuraient au menu des meilleurs restaurants. Le très select Jockey Club proposait des rats cuits sous la cendre et du pâté de rat aux champignons.
Les Parisiens ont ainsi pu survivre.
Quand le rat devient un gladiateurJusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale, il existait dans les campagnes du Nord de la France une cruelle tradition.
Elle consistait, pour la plus grande joie d’un public sanguinaire, à enfermer dans un enclos un homme et une douzaine de rats.
L’objectif était de les voir se défier en combat singulier
L’homme ratier se déplaçait à quatre pattes et devait égorger avec ses dents les bêtes. Fous de peur devant l’exécution de l’un de leurs congénères, les rats attaquaient à leur tour avec une férocité sans égale cette créature bipède qui devenait vite sanguinolente.
Cette odieuse pratique fut interdite en 1913.En Angleterre, à partir de 1708, le rating sport était très à la mode. Dans un ring grillagé, des chiens ratiers et des rats se battaient jusqu’à l’extermination de plusieurs combattants.
Ces nouveaux jeux d’arènes furent organisés de manière officielle dans des ratodromes implantés dans de nombreuses régions et y compris à Paris.
Il en existait encore un en 1939 à Belleville.
Ces spectacles, aujourd’hui illégaux, subsistent cependant clandestinement dans le Nord de la France.