Ca a été dur. Ca a été encore plus dur que la toute première fois.
Parce que toi, je t'ai vu souffrir et t'éteindre à petit feu.

Tu n'avais jamais été un acrobate hors pair. Tu avais toujours deux pattes gauches, et on riait souvent de te voir te précipiter la truffe dans la gamelle, au risque de te rompre le cou du haut de ton hamac.
Ha ça, oui, ton hamac. Tu ne le quittais jamais. Je pouvais parfaitement nettoyer la cage, changer le DryBed, tu n'en sortais pas. Tu avais juste fait en sorte d'avoir un trou à chaque côté, pour pouvoir nous observer. Pendant que tes frères étaient dans la cage de transport, toi, tu roupillais dans ton tissu. On aurait sûrement dû s'inquiéter avant. Quand tes chutes devenaient moins faciles à rattraper pour toi; quand tu dormais trop à mes yeux.
Tu sais, tu as été l'une des raisons pour lesquels j'ai accepté Chéri auprès de nous. S'il t'avait regardé avec dégoût, s'il avait fui ta cage, il ne serait pas resté près de nous. Mais non; dès la première visite chez nous, il a voulu te prendre dans ses bras. Toi, qui as fait craquer belle-maman très vite par ton côté si patapouf; tu étais le seul qu'elle pouvait prendre sans avoir peur que tu bouges trop vite pour elle.
Tu étais mon compagnon d'études; mon retour en France, à l'université, l'envie d'un autre ratou. Et toi. Toi, qui étais là. Toi, offert par ma grand-mère qui répugnait ta prédécesseur. Mais qui savait combien il était froid de rentrer seule chez soi.
Toi, ma grosse patate d'animalerie. Celle qu'on a posé sur mon épaule, et qui m'a bisouillé la joue directement. Toi, qui ne mordais pas, mais bon Dieu, pissais partout en sortie. T'étais la grosse patate qui n'a eu aucun soucis à accepter les autres; le premier que je présentais en intégration. Depuis que tu es parti, on a tenté une intégration: on a eu du sang pour la première fois. Parce que les jeunots tentent de prendre ta place de grand chef.

Tu me manques, mon Edgar. Je n'ai plus que des blanchous dans la cage, et ça me fait bizarre. Ca rend ton absence encore plus réelle. Tu n'es plus là, mon "gros rat d’égout", comme t'appeler mon père. J'ai fait confiance à la médecine, et je t'ai perdu en une semaine. Je te promets, que tes frères n'iront plus jamais dans cette clinique. On trouvera mieux. Ce que je n'ai pas pu faire pour toi. Je m'en veux, si tu savais.

Tu me manques, gros bébé.

Parce que j'ai accepté Chéri, quand toi tu l'as accepté.



Parce que, t'étais un ventre sur pattes.


Parce que, tu étais une grosse feignasse.

Parce que, tu es parti. Et que tu me manques.

Et que, Bon Dieu, j'avais oublié à quel point ça faisait mal.