Cette fois-ci, il m'a fallu du temps. Pour admettre que tu étais partie, que c'était terminé. Qu'encore une fois, c'était à tout jamais.
Pour admettre qu'on a beau vous aimer bien au delà du raisonnable, et tout mettre en oeuvre pour protéger vos vies, elles finiront malgré tout beaucoup trop vite, beaucoup trop tôt, beaucoup trop violemment.
Celui qui régit tout ça, quelque part, n'a que faire de ce que tu pouvais bien représenter pour moi. De la place que tu occupais dans mon coeur, dans mon esprit, dans ma maison. Du bien-être que nous nous procurions l'une l'autre. Ce samedi 11 octobre, il m'a forcée à prendre la plus horrible décision qui soit. Il s'est emparée de la jolie flamme si vive qui brûlait en toi, soufflée en un instant, pour me laisser seule à sangloter vainement dans ce cabinet froid.
Pourtant, je ne suis plus une débutante. J'ai vécu des décès, j'ai appris à faire le deuil, à accepter que la mort fait partie de vos si courtes vies. Qu'il faut se réjouir quand c'est naturellement que vous partez, qu'il faut aussi se réjouir quand l'euthanasie l'emporte sur une souffrance trop forte et incurable.
Mais devoir mettre fin à tes jours simplement parce que la tumeur, envahissant ta bouche, t'empêchait de manger, alors que tu respirais la vie à plein poumons, que tu faisais tous les efforts du monde pour te nourrir, agacée par ce corps étranger, que tu t'endormais bien souvent encore dans les endroits les plus inaccessibles, chaudement lovée contre Piccadilly, et réclamais matin et soir une petite sortie pendant laquelle tu sautillais joyeusement partout... C'est incontestablement la décision la plus atroce, la plus injuste que j'ai jamais eu à prendre. Je me suis détestée des jours, des nuits durant. Des nuits pendant lesquelles je me rappelais ta joie de vivre, tes bâillements, les papouilles que tu distribuais sans discontinuer à Tuulikki...
J'ai attendu un signe de ta part, Petit Chat, même infime. Quelque chose qui m'aurait montré que tu n'avais plus envie de traîner ce corps trop encombrant parmi les vivants, que ta flamme commençait à faiblir, à vaciller. Qu'il fallait que j'agisse, dans ton intérêt. Mais chaque matin, Princesse, chaque matin tu te montrais vive et douce, égale à toi même, et chaque matin le monstre menaçait un peu plus de t'étouffer ou de te forcer à cesser de te nourrir.
Je n'ai plus d'autre choix que de vivre avec cette décision, et d'essayer tant bien que mal de me rappeler à quel point il faisait bon vivre à tes côtés.
Toi, mon cadeau de Noël 2011 de moi à moi. Toi, qui n'aimais pas trop les humains autres que moi. Plusieurs amis ont fait confiance à tes grandes paraboles, à la couleur si chaude de ton poil, pleine de mille reflets changeants, et à la douceur incomparable de ta fourrure.. Pour finir troués. La vie s'est chargée de les venger par l'intermédiaire de Lemmings, qui, elle, préférait de loin les humains aux rats, et a récompensé ton gluantisme d'un généreux coup de croc derrière l'oreille.
Ce jour-là, en t'emmenant chez le vétérinaire, tremblante, j'ai juré à mon chéri que si tu mourrais pendant l'anesthésie, je n'adopterai plus jamais de rat. Tu es revenue comme s'il ne s'était rien passé, joyeuse et sautillante, et toujours aussi folle de Lemmings... Toute ta vie, tu as traîné derrière toi de drôles d'obsessions qui te rendaient si attachante, la nourriture et moi-même étions les principales. Je dois bien avouer que j'ai toujours été un peu fière que tu n'épargnes que moi, quoique je te fasse subir.
Je garde gravés à l'intérieur une multitude de souvenirs, comme de petits joyaux scintillants, que je regarderai en secret lorsqu'il fera trop sombre dans mon coeur.
J'espère que tu sauras me pardonner un jour, Petit Coeur. Ton départ est la pire des punitions.