Mon tout petit amour,
Tu es entré dans ma vie par un joli tour du destin. C'est Diane qui a d'abord parlé, comme ça, de récupérer des mâles. Un sauvetage, sur Lyon, plein de noirauds entassés dans une cage en plexiglas. Moi, j'avais perdu Twice depuis plusieurs semaines, ça m'interessait pas trop, cette histoire. Et puis des mâles, j'en ferais quoi, moi, avec mes princesses?
Mais Diane, elle lâche pas l'affaire si facilement. Il parait que toi et ton supposé frère, vous vous frottiez un peu partout, alors vous avez perdu votre virilité. Et Diane m'a montré ta jolie bouille ronde, ton tout petit nez pointu, le petit coeur blanc qui ornait ta poitrine. J'ai pas hésité beaucoup.
Mon chéri, si: un mâle, quand même, puis avec une telle histoire! Pour l'amadouer, je l'ai laissé choisir ton nom, ce qu'il a fait: Semtex. Un explosif pour unrat au passé tumultueux, ça semblait coller.
J'ai pas vraiment hésité entre toi et ton frère, je savais que c'était toi, qui devait rejoindre mes filles. Une fois les hormones descendues, une fois guéri d'un petit rhume, tu as pris le train, avec Iarn. Elle t'a amené à la maison. C'est là qu'on s'est rencontrés, toi et moi.
Toi et ton passé inconnu, mais probablement terrible, vu la façon dont tu considérais l'homme. Toi qui en avais déjà vu de toutes les couleurs, tu te méfiais. Tu te terrais, au fond de la boîte de transport, te demandant ce qu'on allait encore bien pouvoir te faire subir. La crainte se lisait dans tes jolis yeux.
Impatiente, j'ai tendu la main vers toi, touché ton crâne tout doux, tu étais pétrifié.
Iarn est partie, tu as rejoint ta cage de quarantaine. Nous avons dès lors fait connaissance, toi et moi, tu te souviens? Je me demandais sans arrêt si j'agissais bien, avec toi... Toutes mes princesses n'avaient jamais connu que le confort douillet d'une cage de ratouphile averti, et la main de l'homme, celle qui caresse et console, celle qui nourrit et câline. Toi, tu te méfiais de chacun de mes gestes. Et je ne savais pas m'y prendre. Tu m'a mordue plusieurs fois, pour me remettre à ma place, me montrer qu'il ne fallait pas aller trop vite, que je m'y prenais mal.
En entendant un léger bruit respiratoire de ta part, un beau jour, j'ai mis du miel sur mon doigt, et te l'ai tendu, confiante, comme je l'aurais fait avec n'importe laquelle de mes puces. Tu m'as perforé le doigt si fort que j'ai crié, et qu'il a saigné plusieurs minutes.
Jamais, cependant, je n'ai eu la moindre appréhension envers toi. On savait, on sentait, que tu n'attendais que d'être heureux... Et c'est en rencontrant Lemmings et Kérosène que tout a changé pour toi. Tu as rejoint la grande cage, rapidement, sans encombres, tu semblais aimer les rats bien plus que les hommes... En eux, au moins, tu avais toujours pu avoir confiance.
Au contact de mes filles, tu as rapidement compris qu'on ne te voulait aucun mal. Tu as commencé à sortir, de plus en plus loin, de plus en plus assuré. Et notre belle histoire a commencé.
Doucement, téméraire, tu as voulu grimper sur nos genoux. Tu as accepté nos caresses de plus en plus longtemps. Tu t'es mis à attendre la gamelle du soir avec impatience, et à piaffer avec les filles. Et puis tu es venu vers nous de toi-même.
Je ne saurais même pas décrire le plaisir immense, le bonheur, que m'a procuré ton premier câlin. La première fois où tu as joué avec mes mains. Où tu as globulé sous mes caresses. Te voir dormir sous un paquet de filles, réclamer notre présence, attirer notre attention, était mon plus grand réconfort. Tu étais heureux parmi elle, ça se voyait, ça se sentait. Tu adorais les intégrations. Tu adorais rencontrer les ratons, les prendre sous ton aile. Leur montrer comment se passait la vie à la maison comme si tu avais toujours vécu là.
Je prenais conscience qu'enfin, tu avais trouvé ton chez toi. Ton foyer, celui dont personne ne t'arracherait plus jamais. Celui où tu coulerais des jours heureux jusqu'à la fin.
Cette putain de fin qui est venue bien trop vite. On vous laisse, toi et les filles, pour 2 jours. 2 tout petits jours. Ca ne m'arrive jamais de vous laisser si longtemps, c'était d'ailleurs la première fois pour toi. Mais vous étiez si bien, tous les 7. L'harmonie parfaite, le groupe hyper équilibré par excellence, et en pleine forme... Pas une seule seconde je me suis douté de ce qui allait arriver.
Je te trouve , en rentrant, en grande difficulté respiratoire. J'angoisse, je panique, pas toi, mon bébé noir, tout allait si bien... Puis la démarche habituelle, le véto, les traitements, on essaye tout, on t'observe chaque jour pour vérifier l'évolution de la maladie, docteur, est-ce-qu'il s'en sortira? Dites moi qu'il y a encore de l'espoir... L'une des dernières choses que tu as acceptées avant la nourriture liquide, c'est le miel, sur mon doigt... Certains diront que c'est un hasard, mais je n'y crois pas une seule seconde.
Pour toi, je me suis mise a faire des injections. Des piqûres. Ca ne paraît pas grand chose, mais c'était la première fois, pour moi, et j'ai pleuré plus d'une fois sur cette foutue seringue, en ayant l'impression de te faire volontairement du mal. Une épreuve terrible, mais si c'était la seule solution pour te sauver, mon tout petit coeur, alors mes larmes importaient peu.
Le 31, tu avais retrouvé la forme. Plus de bruits respiratoires, tu mangeais encore un peu. On a essayé, Semtex, je te le promets, qu'on a essayé de pas trop se réjouir. De se dire que tu n'étais pas encore sorti d'affaire. Mais on n'a pas réussi. On te voyait guéri, rejoindre la cage des princesses, retrouver ta chérie Lemmings et ta copine Piccadilly. On en discutait, presque gaiement ton papa et moi, en te faisant tes soins quotidiens.
Mais le sort en a décidé autrement. Si tes poumons ont repris du service, quelque chose d'autre a décidé de cesser de fonctionner. Le retour aux enfers a commencé
Tu n'as plus voulu manger, malgré tout ce que je te proposais, malgré la seringue. Toutes les nuits, je me suis levée, sans réveil, quelque chose en moi me hurlait que tu avais besoin de soins, alors je me levais pour te nourrir, te nettoyer, te choyer, te susurrer que tout ira bien, que nous nous occupions de tout, que Vitamine, Vadrouille et Twice n'avaient vraiment pas envie de te rencontrer maintenant, même si tu étais le rat le plus chouette du monde, que ta place, c'était ici. Que Dilly, elle était trop petite pour voir son papa d'adoption s'envoler si vite, et que, laisser femme et enfant derrière soi, si jeune, c'était un peu lâche, quand même.
Pourtant, tu étais beau, si beau encore... Tu n'avais pas maigri, ou très peu. Tu n'étais pas déshydraté. Tu ouvrais grand les yeux. Malgré tout, à l'intérieur, plus rien ne fonctionnait.
Ce matin, comme tous les matins, je t'ai attrapé pour te câliner, te nourrir, te nettoyer, avant l'injection. Sûrement pris d'une douleur soudaine, tu m'as violemment mordue... J'ai crié, saigné, pleuré, de dépit, de désespoir, de plus savoir quoi faire pour soulager ta douleur. J'ai compris que tu souffrais trop, que c'était fini. J'ai appelé le vétérinaire... Mais tu n'as pas attendu l'heure fatidique. Comme d'habitude, quelque chose m'a susurré qu'il était temps que je vienne te voir, que tu avais besoin de moi. Et tu m'as offert ton dernier souffle. Doucement, tranquillement, sans bruit, ta jolie tête ronde posée sur ma main, tu a rejoint les étoiles.
Mon premier mâle, c'était toi.
Ma première morsure de rat, c'était toi.
Peu d'hommes peuvent se vanter de m'avoir brisé le coeur, mon ange... Tu en fais partie.
Les étoiles sauront te faire briller aussi fort que tu nous as rendus heureux, et je n'espère qu'une seule, qu'une unique chose: que nous avons su te rendre la pareille.
A bientôt, petit loup noir. Nous t'aimons aujourd'hui, demain, et tous les jours qui suivront.